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Fabre Speller Architectes

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Ainsi aimons-nous le caractère commun des lieux : la lumière d’un couloir, deux chaises devant une cheminée, les répétitions d’une façade, une grande salle voûtée, une cour intérieure, une place régulière… Communs ces lieux sont déjà habités. Ainsi aimons nous les constructions de maçons: solides, durables, sans air emprunté, érigées selon des principes rationnels et compris par tous. Dans leur simplicité repose leur caractère exceptionnel.

Ainsi travaillons nous : nos esquisses, nos maquettes, nos constructions évoquent une ville possible dont l’air familier, l’apparente banalité servent la vie quotidienne, l’histoire commune.

Mais l’architecture n’est-elle pas là, dans cette permanente reconstruction des lieux communs ?

GOOD VIBRATIONS

 

I’m pickin’up good vibrations

She’s givin’me the excitations*



 

L’album des Beach Boys est sorti en 1966. L’année où en France la femme devient l’égale juridique de l’homme et ou en Italie Aldo Rossi publie un texte fondateur, qui marquera quelques générations d’architectes européens: L’Architettura della città. 

 

L’heure est à la Tendenza. Les architectes initiateurs du mouvement ne sont  pas en quête d’un nouveau style ou de formes a priori inédites mais visent à développer un mode d’élaboration du projet  prenant en compte des sources historiques. Il ne s’agit pas pour eux de reproduire où d’imiter les œuvres du passé (c’est encore une idée trop audacieuse pour l’époque) mais de rejeter la notion de forme liée directement à la fonction. Aldo Rossi montre comment Palladio, le maître de la Renaissance, adapte le plan en croix des églises médiévales à ses célèbres villas, assurant ainsi le passage du religieux au séculier. A partir de cet exemple et d’autres similaires, celui qui est déjà devenu un maître, s’attache à considérer attentivement les types de bâtiments comme support pour l’élaboration des projets. La Tendenza, qui associe typologie et morphologie, substitue à l’approche abstraite, indépendante des conditions historiques et géographiques, un intérêt pour la sphère urbaine considérée comme une entité organique capable d’intégrer, et aussi d’interpréter, les traditions culturelles, et partant, susceptible d’assurer une transition douce des formes architecturales. Elle s’intéresse moins aux architectures savantes qu’aux réalisations vernaculaires et archaïques issues de cultures et d’habitudes locales et régionales.

 

Quand Aldo Rossi publie son traité, la donne de l’architecture est déjà rebattue depuis une dizaine d’années. La reconversion de l’industrie de guerre en industrie de paix a ouvert les portes à une dimension nouvelle d’appropriation de l’espace qui fait passer la ville en arrière plan devant les autoroutes, les centres commerciaux et les urbanisations menées à coups de zones monofonctionnelles (aujourd’hui, les villes traditionnelles représente à peine 1% de la surface mondiale urbanisée contre environ 3,5% il y à quarante ans).

La ville, depuis longtemps chargée de tous les maux, trahie de l’intérieur par les architectes, doit battre la chamade et mai 68 ouvre à fond les vannes de la logorrhée anesthésiante. Pour étendre le marché, il faut transformer les architectes en êtres férocement individualistes, c'est-à-dire, prêt, pour satisfaire leur ego et obtenir la commande, à sacrifier la ville. Celle-ci n’étant plus considérée comme le creuset de la civilisation urbaine, le lieu ou les femmes et les hommes acquièrent les libertés fondamentales, mais comme l’obstacle majeur aux affaires et à l’innovation formelle. Il faut donc en finir avec l’îlot, la parcelle, avec la hiérarchie des espaces publics, avec la distinction entre tissu urbain et monument. Toute construction sera désormais considérée comme un monument, chaque architecte comme un génie.

 

Rien de tout ce cela n’est évidemment spontané et innocent, mais relève de l’internationalisation des marchés. Dire que la main de la CIA était dernière les manifestants de la Sorbonne n’est  aujourd’hui plus un secret (André Glucksmann en a fourni le premier les preuves) tout au plus un sacrilège pour ceux dont mai 68 fut l’unique grand moment de leur vie. 

 

En 1975, Bernard Huet publiait dans la revue AMC, un petit manifeste dans lequel il affirmait l’impossibilité du progrès en architecture. : « Un édifice néo-gothique construit en 1975 est « moderne » dans la mesure où il se situe à l’intérieur des rapports de production contemporains ». En 1976, Léon Krier avec son projet de concours pour la Villette, démontrait l’actualité opérationnelle des concepts constitutifs de la ville européenne et monopolisait l’attention des revues qui donnaient le ton international, Lotus en Italie, Oppositions aux Etats-Unis, l’Architecture d’Aujourd’hui en France. Son livre, Architecture Rationnelle, publié en 1978, après une exposition organisée en 1975 à la AA School de Londres (alors la plus hype) était conçu comme un manuel  illustré divisé en chapitres consacrés aux éléments dialectique de la morphologie urbaine, à la reconstruction d’espaces urbains, à l’habitat comme élément constitutif d’un nouveau tissu urbain, au quartier ou la ville dans la ville, etc. Les architectes de la Tendenza  (Grassi, Minardi, Conti, Botta, Braghieri, Scolari,..) s’y taillaient la part du lion. Aldo Rossi avec ses projets pour l’hôtel de ville de la commune de Scandicci près de Florence et pour le théâtre de Parme illustrait une possible réconciliation entre l’assassin de la rue, Le Corbusier, (qui avait la fâcheuse habitude de confondre le clair de lune et la rue Saint Denis) et l’amant sensuel des places écrasées par le soleil, Giorgio de Chirico, qui aimait tant le va et vient citadin qu’il finit par prendre racine dans les halls d’hôtels.

 

A bâbord toute ! Les bonnes vibrations arrivaient avec le vent du sud, de Bologne la Rouge, de Turin la motorisée, de Milan l’intellectuelle. Elles étaient pareilles aux flocons de peupliers portés par le vent depuis Ostia annonçaient aux Romains l’arrivée du printemps jusqu'à ce que la construction des barres du Corviale entravent leur passage. A l’exception du football, le rouge et le vert  ne font pas toujours bon ménage. Nous étions des enfants contents de porter l’étendard de la révolution sans trop nous inquiéter des bruits qui courraient sur sa confiscation et sur les exactions commises en son nom. Faut-il pour cela faire trait sur l’engagement qui a fait ce que nous sommes ? Trop jeune pour être de la génération des hussards littéraires, trop vieux pour être de celle des rebelles sans cause. Le désenchantement ajoute plutôt que soustraire. Douleur passagère dans l’arrière train qui fait se fait traîner le chien suscitant le sourire ou la compassion des passants.

 

Encore quinze années et le centre d’art de Vassivière en Limousin inauguré en 1989, issu de du talent complice de Xavier Fabre et d’Aldo Rossi, illustre à l’échelle grandeur l’idée de volumes simples, d’archétypes issus de la civilisation urbaine antique et assemblés sous la lumière.

Autrement dit, une architecture du silence. Fabre et Speller semblent avertis que pour asseoir un pouvoir, c'est-à-dire avoir une audience, être reçu par un public d’amateurs, il est préférable de laisser les autres parler. Le silence, source de mystère éloquemment illustrée par la séquence du club Silenzio dans Mulholland Drive. A chacun dès lors de trouver le sens du film de David Lynch et des  architecture de Fabre et Speller (s’il y en a un) puisque personne ne voit les choses de la même façon. Par le silence qui les embrasse et les cajole, les architectes laissent aux dériveurs des rues, dont seul l’avis compte, l’impression que leurs réalisations sont  aussi foisonnantes de mystères qu’un  temple maçonnique.

 

Pendant toutes ces années qui nous amènent cahin-caha au 12 mai 2008, l’agence Fabre et Speller a ainsi tenu le cap, évitant les écueils acérés de l’innovatio et du novo, s’endurcissant dans les déserts surchauffés pour mieux appréhender les vertus du mutisme et se retrouver aujourd’hui membres du « Livingstone, I presume ? ». Club sélect de rassemblement nocturne des créateurs conscients que l’écologie et la durabilité, sont indissociables de la ville traditionnelle avec ses quartiers et ses espaces publics nommables et reconnaissables par tous. Ici les habitués partagent la même idée que le bon logement social est celui qui ne se voit pas (idée encore insupportable aux sociétés de logements sociaux et à leurs architectes), que les architectures les plus énigmatiques, langoureuses ou musclées, sont celles qui permettent la nidification des oiseaux et échappent aux photographes pour s’éclipser dans la ville, lieu de toutes les aventures. Ici au club (quand on n’est pas occupé à danser), les conversations portent sur la parcelle, le mitoyen, l’alignement, les voisins, le déjà vu, le à l’identique, le mimétisme, l’imitation, le bleu et le gris du ciel, le style (vous êtes plutôt gothique ou spanish style ?). Ce ne sont pas des gros mots.

 

Alors, Quoi l’éternité ? 

Fabre et Speller, (intronisés Sabre et Epée au « Livingstone » en référence à leur caractère sport) des architectes épatants, une équipe très british, qui inscrit son travail dans le temps de la ville, du vécu quotidien, de la marche à pied, du voisinage paradoxal, de l’heure bleue de l’apéritif à la gentiane, du chien écrasé, des agitations de la tectonik, du cinq à sept derrière les persiennes qui dessinent des rais de lumière sur le sol, du facteur érudit, de la fleuriste péripatéticienne, du libraire prix Nobel de gastronomie ou du bar-tabac du coin, … Bref, là ou sont les bonnes vibrations, là ou sont les gens qui bougent, se remuent le derrière, là ou est la vie avec ses peines aux larmes et ses joies multicolores.

Beaucoup plus tard, quand ils disparaîtront, que les volets de l’agence battront lugubrement à tous les vents, chose, comme on le sait rarement, inévitable, parions que la terre leur sera légère.

 

 

 

Maurice Culot

Paris le 12 mai 2008

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